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Solstice d'été

Le jour se lève à peine sur Epidaure. Maria est arrivée tard dans la nuit. Le voyage a été long et éprouvant, tant par la chaleur que par la crainte et la joie mêlées de ce séjour tellement important pour elle. Au loin un âne braie. Comment une bête au regard si doux peut-elle faire un son aussi dissonant. Comme aucun de ses semblables ne lui répond il recommence la même plainte grinçante. Une fois, deux fois, trois fois puis se tait. Maria s'enroule dans sa couverture d'étamine de laine et se rendort.

Elle sent soudain une présence dans sa chambre. Elle ouvre les yeux et voit une jeune servante, debout devant la porte. Sans un mot, Maria se lève, revêt sa tunique la plus simple, la jeune fille lui fait signe de la suivre.

Elles traversent une oliveraie immense, des centaines d'oliviers, noueux, tortueux, jeunes, vieux offrent une ombre légère. Imposant et raide, le temple se découvre devant elles. La jeune fille s’efface pour laisser Maria entrer. Un vieil homme, vêtu de blanc la précède dans un grand espace frais. Il s'efface à son tour et Maria entre dans un immense quadrilatère où l’attend la Reine assise sur un majestueux trône de marbre. Elle se lève et tend les bras à Maria qui, très intimidée, lui fait une révérence les bras croisés sur sa poitrine comme le lui a enseigné sa mère Evangélina avant de quitter Athènes. La Reine pose ses lèvres sur son front et lui sourit. Puis elle frappe dans ses mains et deux jeunes filles apparaissent.

- je te présente mes filles, dit-elle. L’aînée Aurore et sa cadette Céleste. Les deux jeunes filles s'inclinent avec un grand respect, les bras croisés sur leur jeune poitrine.

Autant Maria est brune aux yeux noirs expressifs, autant Aurore est blonde aux yeux verts clairs, délicate et gracieuse. Le contraste est saisissant. On pourrait les associer à la reine de la nuit et la reine du jour. Céleste a une chevelure d'un roux flamboyant et son regard pétille de malice. Les deux sœurs invitent Maria à goûter les mets disposés sur une table recouverte de feuilles de bananier. Elle s’empêche de dévorer mais la faim est bien là. Des fromages de lait d’ânesse, des raisins secs, des olives, des fruits inconnus d'elle. Une eau fraîche coule d'une fontaine, elle s'y désaltère avec plaisir. La Reine s'est retirée dans ses appartements et les jeunes filles entraînent Maria pour lui faire découvrir le palais. Mais la Reine a bien précisé qu'elles ne devaient, en aucun cas, pénétrer dans le sanctuaire.

Les trois jeunes filles se lient d'amitié très rapidement. Elles se promènent tout autour du sanctuaire, sur les chemins recouverts de pierres sèches au milieu des buissons de ciste et de lavande. Puis une femme bien charpentée, plutôt ronde, Elvira, vient a leur rencontre et prie Maria de la suivre d'un simple geste.

Il est temps de commencer le travail. Elle parcourt des yeux le texte puis la musique. Elvira l'observe et lui précise les intonations, les respirations qu'il est impératif de respecter. Elle lui fait part, avec moult détails du déroulement de la cérémonie du solstice d'été qui aura lieu dans trois lunes. Elle lui décrit tout d’abord le temple rond de marbre blanc, la cella où elle se tiendra avec Aurore et Céleste, face au Roi et à la Reine.

Maria apprend vite et sa mélodie s'enrichit au fil des heures. Elvira découvre la voix fascinante de soprano, son timbre chaud et intense. Elle connaissait la réputation de cette jeune fille dont on dit d'elle qu'elle a la plus belle voix du monde hellénique, mais cela dépasse très largement toutes ses espérances. Elle possède une excellente oreille et une mémoire infaillible. Ses vocalises l'émerveillent, ses graves sombres, l'aspect voilé caressant de sa tessiture, ses trilles merveilleuses et solides. Son agilité à pouvoir passer de l'une à l'autre avec une fluidité naturelle la transporte.

Les deux sœurs viennent travailler avec elle, puis le chœur, et enfin les musiciens. Leurs voix se confondent, se soutiennent, se mêlent, se mettent en valeur les unes aux autres. Les répétitions durent deux journées dans une parfaite harmonie.

Pendant ce temps les pèlerins arrivent de toute la Grèce pour se faire soigner. Le culte de la médecine par le songe est reconnu de tous.

Enfin le soir de la troisième lune est arrivé. Maria après avoir pris un bain parfumé de lavande enfile sa tunique de linon de couleur pourpre brodée de fils d'or, met sa ceinture et ses sandales qui ne sont que de simples semelles à lanière. Ses cheveux sont nattés et relevés en un lourd chignon sur sa nuque. Enfin prête elle monte dans le char qui la conduit jusqu'au temple. En haut du plan incliné, le char s’arrête devant la porte monumentale. Elle descend aidée par deux serviteurs. Elle entre dans le temple circulaire dont le dallage de la cour intérieure, composé de précieux marbres noir et blanc est entouré de quatorze colonnes.

Ses pas la conduisent dans la cella où le Roi et la Reine sont déjà présents, tous deux assis sur des trônes décorés de pierreries. Aurore et Céleste arrivent quelques minutes derrière elle. Leurs tuniques frôlent le sol, parme pour Aurore et mauve pour Céleste, entièrement brodées de fil d'argent.

Le Roi dans son ample tunique blanche , est couronné d'un diadème en or, ses cheveux et sa barbe sont savamment bouclés. Il tient dans sa main droite un sceptre d'or et à son bras gauche, un serpent d'or s'enroule sur son puissant biceps, de l'épaule jusqu'au coude. Il est chaussé de sandales à molletières. La Reine porte une tunique blanche, droite finement plissée. Sa tête est coiffée d'un long voile surmonté d'un diadème en forme de couronne. Elle porte une bague en forme de serpent à l'annulaire gauche.

Douze prêtres se placent en silence tout autour de la pièce, puis six jeunes garçons avancent à quelques pas devant eux, une main posée sur le couvercle de panier d'osier en forme d'amphore. La foule des villageois et des pèlerins se répartit dans un silence remarquable tout autour du temple. Hommes, femmes, enfants ont tous les bras croisés sur leur poitrine, la tête baissée et couverte de branches d’oliviers fraîchement cueillies.

Le rayon tout d'abord large et blafard de la lune pénètre dans le temple, le silence règne dans une chaleur presque étouffante. Lorsqu’il atteint le centre de la cella, le Roi entonne une prière de sa voix de ténor. Le chœur lui donne la réplique puis la voix de Maria au timbre si particulier s'élève tout d'abord doucement puis emplit tout le temple et semble s'élever vers les étoiles. Son chant ensorcelant mêlé à celui du Roi, de ses deux filles et du chœur accompagne le rayon de la lune qui s'amenuise tout en poursuivant son chemin vers l'autel. Lorsqu’il atteint le sommet du petit édifice en n’étant plus qu'un filet, les six jeunes garçons couchent les paniers et en ouvrent les couvercles. Six serpents en sortent doucement dessinant des méandres de leur corps sinueux, puis se dressent. Le Roi alors frappe le sol de son sceptre, un seul coup fort et puissant, les six serpents sacrés du Dieu Guérison se obéissent au signal et se dirigent dans un léger bruissement vers un orifice creusé au centre de la dalle blanche.

La voix de Maria reprend et de puissants vibrato dans les aigus impressionnent toute l'assemblée, son chant envoûtant émeut toute l’assistance qui pourtant ne bronche pas. Seul le Roi ne peut s'empêcher de la regarder et ses yeux noirs qui étincellent reflètent une sorte d'admiration.

La cérémonie se termine. La nuit totale a envahi tout le temple et bientôt le sanctuaire se vide dans le calme. Une brise fraîche se propage dans tout l'espace comme pour effacer la lourdeur de l'air qui régnait il y a encore quelques minutes. Chacun s'éloigne d'un pas feutré dans le plus grand silence.

Les pèlerins resteront encore trois lunes dans le sanctuaire mais Maria doit regagner Athènes le lendemain au chant du coq. Son départ est salué par le Roi qui la bénit d'un simple geste sur son front. Elvira, Aurore et Céleste la pressèrent sur leur cœur les larmes au bord des yeux.

La vie de Maria sera désormais faite de rencontres semblables à celle-ci. Elle parcoura toute La Grèce pour accompagner les cérémonies importantes, les couronnements, les naissances royales, les événements exceptionnels. Elle ira jusqu'en Sicile et sera connue et reconnue de tous et ceci jusqu'à la fin des temps.

DoBP

Tag(s) : #atelier 2013-2014
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