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poupées mécaniques

Poupées mécaniques

En novembre, c’est le printemps en Afrique du Sud. Il fait déjà chaud. Chaque jour, je cherche ce qu'il y a d'Afrique cet étrange pays qui n'a d’Afrique que le nom. Nous sommes une vingtaine de français à faire ce voyage, accompagnés par une guide d’origine grecque qui non seulement parle parfaitement notre langue, mais connaît tout de ce pays qu’elle aime depuis longtemps. Elle y vivait déjà à l’époque de l’apartheid, et nous raconte quelquefois à voix basse, nous sommes en 1999, que le pays n’en est pas complètement guéri, ce qu'était la vie en ce temps-là. Nous sentons de temps à autre un soupçon de regrets, mais elle gardera toujours une retenue et ne nous parlera de ses inquiétudes d'avenir qu'à la fin de notre séjour.

Partis tôt un matin, nous parcourons de nombreux kilomètres entre plaines verdoyantes, montagnes tout en longeant d'immenses plages. À midi nous devons déjeuner dans une propriété située au milieu d'un jardin botanique. Le corps du bâtiment a, comme beaucoup de bâtisses ici, des allures de maison hollandaise avec deux frontons triangulaires ornés de vases à chaque extrémité, et des fenêtres tout droit arrivées d’Amsterdam avec leurs petits carreaux. Le parc est magnifique, de nombreuses variétés de fleurs inconnues de nous, tels les protéas, nous sont patiemment présentées par une dame à la fois sévère et bienveillante. Le repas nous est servi sous un grand dais dans le parc par du personnel noir, surveillé par des major d’hommes blancs. Au moment où nous pensons reprendre la route une femme apparaît, nous fait signe de contourner la maison et de venir la rejoindre.

Nous découvrons alors une vingtaine de petites filles, qui peuvent avoir dix ou onze ans, pour la plupart vêtues de courtes robes soit blanches, soit de couleur or. Toutes ont des collants blancs- beaucoup trop grands pour les plus petites- des gants blancs et de drôles de bibis avec une plume rouge. Elles sont presque toutes noires. Une musique nasillarde s'élève et les enfants commencent à danser. Leurs gestes sont mécaniques mais bien en rythme. Toutes regardent celle qui doit être la monitrice. Aucune ne sourit, trop occupées à bien compter leurs pas, à bien faire les demi-tours, compter le bon nombre de sauts, et se déplacer ensemble dans la bonne direction. Des cercles se forment, ces cercles deviennent des rangées, les bras se lèvent, s’arrondissent, puis de nouveau elles forment deux cercles, et finissent par se mettre à genou. C'est une sorte de danse de majorettes, mais l’étonnement vient de l’absence totale d’expression, de joie de vivre, de grâce. Ces enfants font un travail de représentation. Nous sommes tous éberlués, admiratifs et aussi un peu gênés. Même notre guide pourtant habituée à cette région n'a jamais assisté à une représentation de ce genre. Nous ne pouvons rester très longtemps sous ce soleil brûlant, et nous cherchons un coin d'ombre. Mais il n'y en a pas de ce côté. Nous ne pouvons pas nous asseoir non plus, les figures des enfants changeant de place nous devons bouger aussi. Les petites filles tournent et se retournent comme des poupées mécaniques, aucune d'elles ne semble sentir le soleil. Rien ni personne ne pourra les détourner de leur mission. Elles sont graves et appliquées.

Quand enfin la musique s’arrête nous applaudissons le plus fort possible mais, que sont nos claquements de mains dans ce grand jardin. Aucune fillette ne sourit, seule la monitrice esquisse une petite révérence. Elles disparaissent dans le bâtiment en marchant bien au pas deux par deux, les petites devant.

Nous rejoignons notre car, en félicitant la dame qui nous avait accueillis pour le bon repas et pour cet étrange spectacle de circonstance, sans doute monté et répété à chaque passage de touristes. Lorsque nous longeons le domaine, les petites filles suivent le chemin en faisant de grands signes de main, en riant, en bondissant. Enfin de vrais visages d'enfants !

Dominique P

Novembre 2014

Tag(s) : #Mon théâtre à moi
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